Mardi 6 Janvier 2009. Paris est ce matin sous la neige.
La radio annonce : « L’opération de Tsahal contre les terroristes du Hamas à Gaza aurait semble-t-il provoqué un regain d’antisémitisme en Europe. On signale en effet des incidents en France, en Angleterre et en Belgique. »
Dimanche soir, deux voitures transportant des cocktails Molotov ont été lancées contre une synagogue de Toulouse.
L’un des véhicules a pris feu, mais l’incendie qui risquait de se propager a vite été circonscrit.
Le café ne passe vraiment pas.
Mes craintes d’hier se sont confirmées.La grande agressivité qui s’est exprimée lors la manifestation de samedi dernier inspire la crainte. Je pense comme le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) « qu’il ne faut surtout pas importer le conflit ici. Ça ne doit pas, ça ne peut pas avoir lieu. C’est toujours le risque que l’on redoute dans ces événements, que les tensions se déplacent”.
Arrivée au bureau, je lis les quotidiens et consulte les différentes agences de presse internationales. Je suis consternée de ce qui se trame. Je surprends dans la glace, le rictus rembruni de mes juives douleurs.
L’antisémitisme se réveille en Europe, brandissant ses étendards de la haine des Juifs.
En Angleterre, les organisations juives ont indiqué que trois jeunes avaient tenté dimanche de mettre le feu à une synagogue, au nord-ouest de Londres. Lorsqu’ils ont échoué, ils ont essayé d’incendier la porte d’entrée en y versant de l’essence et ont causé des dégâts sur place.
Il y aurait eu, en outre, au moins 24 incidents au cours de la dernière semaine: un automobiliste juif a été agressé, des jeunes ont crié des slogans antisémites tout en essayant d’entrer dans des commerces juifs dans le quartier de Golders Green, à Londres, et ont tracé des graffitis hostiles dans plusieurs quartiers de la capitale anglaise.
En Belgique aussi plusieurs incidents se sont produits: des inconnus ont tenté de mettre le feu à la maison d’une famille juive orthodoxe dans une banlieue d’Anvers. Les pompiers dépêchés sur les lieux ont pu maîtriser les flammes rapidement. En outre, au cours d’un grand rassemblement contre l’opération de Tsahal à Gaza, organisé à Anvers, des manifestants ont brûlé le drapeau israélien, ont endommagé une Hanoukka de Habad et ont inscrit des slogans hostiles et des croix gammées sur des magasins appartenant à des Juifs.
Un imam lance une fatwa pour tuer les Juifs partout où ils se trouvent dans le monde.
Je pense à ma pauvre grand-mère et à sa meilleure amie une musulmane d’Algérie, Bahia.
Douce Bahia.
Je pense à leurs discussions pleines de tolérance et de respect.
Je suis en colère contre tous ces antisémites qui les font trembler toutes les deux dans leurs tombes.
Ma petite grand-mère qui avait si peur des haïsseurs de Juifs.
Ma grand-mère et Bahia étaient-elles naïves ? Non, je ne le crois pas, elles étaient humaines. Simplement humaines.
Je pense à ces Juifs comme moi qui viennent de connaître l’offense. L’affreuse offense infligée parce juif.
Parce qu’un nouvel antisémitisme est né…
Celui qui, sous prétexte de critiquer la politique de l’Etat hébreu, qui par ailleurs peut être critiquable, clame la « Mort d’Israël » et lance des appels au crime des Juifs parce qu'ils forment un soutient d’office de « ce cruel pays sioniste ».
Je regarde l’inscription sur les panneaux des manifestants : « Mort à Israël ».
6 janvier 2009. Je suis tellement triste.
La création de l’Etat d’Israël est, en autres choses, la conséquence dans le cœur de nombreux Juifs que bien qu’il eût existé à d’autres époques en d’autres périodes et certains pays une relation profonde entre l’hôte et son invité, le temps de rebâtir un logis, un espoir de construire une maison sur les fondations de la paix et de la justice.
L’assassinat de masse des Juifs européens, le conflit ensanglanté avec les Arabes et l’effroyable discorde avec les Palestiniens ont quelque peu déshérité les rêves idéalistes des bâtisseurs d’Israël.
Soixante ans d’histoire, d’histoire complexe.
L’histoire des juifs est remise en question, parfois même en son sein, par de nombreux détracteurs.
Dans ma famille, il y a ceux qui ont connus la Shoah, ceux qui ont connu plusieurs fois dans leur vie le champ de bataille, qui ont connu la face immonde de la guerre.
Pourtant, je continue à dire qu’on n’étouffe pas l’agression en y cédant et deux choses exonère le combat : La vie et la liberté.
Je lutterai en effet si un voisin veut me tuer, moi ou mon frère. Je lutterai si un voisin veut faire de moi ou de mon frère un porte-bat, un aliéné.
Le conflit entre Israël et la Palestine est un antagonisme tragique entre deux revendications convaincantes.
Je voudrais hurler à tous ces gens qui pensent connaître Israël et qui le juge avec autant de facilité en usant de tous les a priori possibles qu’il ne faut pas s’égarer sur les chemins qui conduisent à la haine.
Je pense que l'un des pires fléaux sur cette terre, c’est la bêtise. Elle est dangereuse car elle a la force, quand avec un soupçon de génie, de manipuler et de dresser les foules.
Les seuls israéliens « corrects » et dignes de « vivre » seraient-ils donc ceux que les Européens croient de gauche ?
Beaucoup de mouvement de paix en Israël ne sont pas pro palestiniens.
Ne mélangeons pas tout ;
Ils militent pour une paix entre L’Etat juif et la Palestine et en conséquence entre Israël et les pays arabes, non pas par culpabilité mais pour
mener une vie normale, sans plus aucune menace terroriste perpétuelle.
Les Israéliens sont en Israël pour « de bon ».
Les Palestiniens, eux, ne s’en iront pas.
Les Palestiniens ont le droit à leur Etat. Israël aussi.
Ils doivent donc devenir des voisins raisonnables.
Je ne crois pas en une paix parfaite. Je milite pour un compromis sensé et imparfait entre deux communautés qui sont vouées, pour quelques décennies encore, à être séparées et dissemblables. L’accommodement doit être juste et raisonnable.
En ces temps obscurs et graves, nombreux sont ceux qui perdent la raison.
Trop de messages de haine, beaucoup trop d’appels à la haine.
Depuis quarante ans, l’opinion internationale s’est évertuée à se dresser contre l’antisémitisme. Depuis quarante ans nous répétons que le massacre des Juifs ne peut être expliqué.
Le problème juif c’est peut-être, celui de souffrir d’une surdose d’histoire. Celui de porter un lourd héritage, celui d’une histoire ancienne difficilement audible, mêlée de culpabilité et de vengeance.
En ce début 2009 voici un nouvel antisémitisme qui profile insidieusement sa haine dans les rues de l’Europe .
Quel est notre problème ? Quelle erreur avons-nous commise ?
Parfois, je suis fatiguée d’être juive, mais cependant je suis juive et cela pour toujours. C'est mon identité totale et profonde, ma vie, celle de mes aieux, de mes ancêtres.
C’est qu’ici ou en Israël, peut-être c’est ce sentiment que nous dépendons tous les uns des autres. Je n’ai pas connus les camps de la Mort et pourtant je porte en moi la souffrance des miens, gazés parce que Juifs.
Bien-sûr nous les Juifs nous sommes en proie à « de vieilles maladies juives que le sionisme à jadis entrepris de guérir par le changement de climat et de conditions ».
Il serait naïf de vouloir nous soigner en moins de deux ou trois générations.
Deux petites générations, quarante petites années,où dès la création de l’Etat hébreu nous ne connaissons pas de répit.
En ce moment le monde antisioniste, antisémite, méprise la chose suivante :
Dans le monde entier il y a plus d’une centaine d’Etats dont la plus grande majorité sont sous l’emprise de dictatures, d’esclavage. Il y a aussi seulement vingt-cinq , trente pays où les citoyens ont le droit de s’exprimer, de critiquer, de s’opposer, de manifester, de penser, d’écrire dans les médias. N’oublions jamais qu’Israël appartient à cette petite minorité.
Aux antisionistes qui attisent la haine et font le jeu de antisémites en prônant que les Juifs n'ont aucun droit à cette terre, à ceux qui accusent les Juifs de tous les maux, à ceux qui remettent en cause jusqu’à notre histoire, jusqu’à notre intégrité,
Je réponds que le grand mérite du sionisme c’était celui de tourner une page de l' histoire juive trop cruelle pour continuer à survivre.
Le sionisme c'est peut-être la résilience des Juifs. Avions-nous d'autres choix que celui de vivre ?
Tout cela c’est l’héritage juif. Et certes il n’est pas toujours facile à endosser.
Bien-sûr désormais Israël a l’apparence d’une super puissance armée.
Bien-sûr qu’Israël peut attirer la calamité et perdre ce qui a été précieusement accompli.
Mais en comparaison à l’Holocauste, il y a un monde.
Oui Israéliens et juifs sont des humains perfectibles…
J’en connais, comme ma grand-mère et son amie arabe Bahia, des bons, des pacifistes
J’en connais d’autres arrogants et affreusement stupides, paralysés par leurs peurs et qui ont pour dernier retranchement le nationalisme.
Je ne veux nullement prendre part à la moralisation, celle d’une logique de victime.
Je suis parfois épuisée d’avoir à me justifier d’être juive. Epuisée de vivre dans l’angoisse de ce que la prochaine guerre pourrait nous apporter à moi juive de France, à ma famille juive d’Israël., à tous ceux nés juifs.
Ce conflit, cette opération "Plom durci" est une tragédie.
Une tragédie d'abord pour le peuple palestiniens. Une tragédie pour tous les Juifs d'Israël et les autres et Dieu préserve, et si ça continu ainsi pour une tragédie pour toute la communauté internationale.
Cette nuit, j'ai mal dormi...
Les images se mélangent et défilent à toute vitesse :
Je revois les visages de ces petits palestiniens, innocentes victimes, les visages de ces jeunes soldats de Tsahal.
J'ai mal car je pense à la douleur des mères musulmanes et juives, qui ont perdu le fruit de leurs entrailles.
Combien de temps encore ?
Et puis j'entends les messages de haine de ces imams fous, qui manipulent les textes sacrés du Coran, en appelant aux meurtres des Juifs dans le monde pour venger la Palestine. Et j'entends encore certains commentaires qui résonnent comme celui en France d'une certaine gauche alternative.
Le réveil d’un nouvel antisémitisme en Europe est motivé par l’antisionisme, un antisémitisme presque banalisé.
La critique de la politique d'Israël n'est pas de l'antisionisme.
Nombreux d'ailleurs sont les thèmes politiques qui sont contestables et contestés en Israël.
Non l'antisionisme, cet antisémitisme qui se banalise de plus en plus dans certains milieux bien pensants, c'est le fait par exemple de revenir constamment sur l'intégrité de l'Etat hébreu, sur la non légitimité des Juifs à s'être autorisé à VIVRE en personne LIBRE et non être les misérables assujettis des nations.
L'antisionisme c'est aussi l'amalgame du sionisme avec le racisme et l'apartheid.
En France, l'éditorialiste du journal Le Point, Claude Imber écrivait en 2004 : « L'antisémitisme n'est en rien une passion nationale. Mais le fait est que, dans sa variante islamiste un anti-judaïsme très minoritaire, d'ailleurs condamné par les institutions musulmanes françaises, sévit bel et bien dans quelques friches de la nation. Plus insolite, il se profile même, derrière un antisionisme venimeux, chez un quarteron de clercs de la gauche française […] L'évocation d'un complot international où l'État juif, "Petit Satan", donne la main au "Grand Satan" américain rappelle crûment la propagande antisémite du nazisme ».
Aujourd'hui, l'antisionisme, même s'il ne se veut pas antisémite, vise non seulement la politique oppressive d'Israël contre les Palestiniens, mais aussi Israël en tant que nation et son lien avec ses soutiens en diaspora qu'on accuse sans toujours aller y voir d'inconditionnalité ; il en vient à récuser l'existence même d'un État juif.
C'est ici que peut se nouer le lien entre antisionisme et antisémitisme : de l'antisionisme au vœu de disparition de l'État hébreu, il n'y a qu'un fil, et de la disparition de l'État hébreu à la haine de ceux qui militent pour le droit à l'existence de l'État d'Israël, il n'y a qu'un pas. .
Dans Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt soutient que le mal n’est pas satanique, le mal est banal. Le crime nazi a été perpétré par des petits bureaucrates, par des fonctionnaires, par des gens qui avaient simplement peur, par des gens tellement banals.
C’est le collègue de bureau de mon grand-père qui l’a vendu à la Gestapo.
Il n’a jamais su pourquoi.
Mon grand-père, sauvé par la Résistance, l'a rejoint et a libéré la France parce qu’il était profondément attaché à la démocratie.
En 1948, il n’a donc pas rejoint Israël car ça vie était ici en France, parce qu’il s’était battu pour elle. Mon grand-père était un juif français, ami d’Israël et attaché au sionisme.
Car le sionisme est souvent intrinsèque au juif, car le sionisme c’est l’espoir de ne plus être cet autre, ce juif perpétuellement errant.
Or,1948 est loin,
Et la création de l’Etat d’Israël est irrévocable.
En Europe, quarante ans après la création de l’Etat d’Israël, la montée de l’antisémitisme est inacceptable.
Aucun antisémitisme n’est tolérable, aucun, même pas celui en réaction avec la guerre entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza.
En cette soirée du 6 janvier 2OO9, je suis inquiète de la tournure que prennent les événements tant au Moyen-Orient qu’en Europe.
Ce soir sur ma table de chevet un livre d’Albert Cohen,
O vous, frères humains. Le livre de la vieillesse, le livre de la sagesse.J’espère que nous serons nombreux à méditer sur ces paroles : « Oui, frères, ne plus haïr, par pitié et fraternité de pitié et humble bonté de pitié, ne plus haïr importe plus que l’amour du prochain, amour auquel j’ai cru en ma jeunesse, et j’en ai la nostalgie et j’en sais l’attrait du charme […]Stérile amour qui au long de deux mille années n’a empêché ni guerres et leurs tueries, ni les bûchers de l’Inquisition, ni les pogromes, ni l’énorme assassinat allemand, ô affreuse coexistence de l’amour du prochain et de la haine. O vous, frères humains, vous qui pour si peu de temps, remuez, immobiles bientôt et à jamais compassés et muets en vos raides décès, ayez pitié de vos frères en la mort, et sans plus prétendre les aimer du dérisoire amour du prochain, amour sans sérieux, amour de paroles, amour dont nous avons longuement goûté au cours des siècles et nous savons ce qu’il vaut, bornez-vous, sérieux enfin, à ne plus haïr vos frères en la mort. Ainsi dit un homme du haut de sa mort prochaine ». Esther H.
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